Il y a des personnes qui souffrent de se sentir inutiles et il y a celles qui, à l’inverse, souffrent d’être uniquement utiles et pratiques. Elles ont aussi envie d’être appréciées en étant tout autant inutiles. Elles saturent de n’avoir que ce rôle.
« Si j’étais inutile, est-ce que les gens s’intéresseraient à moi? »
Se sentant délaissées sur le reste, elles ont la sensation (bien souvent sur la durée) de n’être qu’utiles quand les gens ont uniquement besoin d’elles. Pour elles, cela signifie qu’au-delà de leurs besoins, même si elles sont heureuses de les aider et d’être utiles (ce n’est pas le sujet), rien d’autre à part leurs propres intérêts ne les intéressent chez elles. Comment le voir ? C’est simple, ils ne viennent pas vers elles quand ils n’ont pas de besoins personnels.
Souffrantes d’un manque de réciprocité, elles réalisent que des personnes ne manifestent de l’intérêt pour elles que dans leurs propres intérêts. Elles se sentent alors comme exploitées et utilisées.
Ce déséquilibre ne pose aucun souci dans un contexte professionnel définissant un cadre de mise à disposition de ressources humaines (si ce cadre est respecté de part et d’autre) et incitant à éviter les malentendus: « je sais pourquoi je suis ici ».
Dans un contexte personnel, d’autant plus s’il y a de l’affect, c’est beaucoup plus ambigu des 2 côtés. N’oublions pas que certaines personnes dites utiles, ne savent pas exister sans prendre ce rôle auprès des autres, jusqu’à parfois anticiper leurs besoins, tout faire pour les satisfaire alors qu’ils n’ont peut-être rien demandé. Il ne faut pas omettre cet aspect-là dans cette analyse. Quand le besoin d’utilité auprès des autres devient existentiel pour se réaliser soi-même, des personnes cherchent à devenir indispensables pour eux. Savoir que l’on aura toujours besoin d’eux les rassurent et leur donne une place dans la société. Leur besoin étant ici les besoins des autres, c’est une interdépendance qui se met en place et qui peut tout autant fausser certains aspects de la relation. Quand ce n’est pas le cas et avoir tout de même l’impression de ne servir qu’à cela, il sera alors nécessaire de reconsidérer la relation à l’autre, revoir sa copie, accepter cet aspect de l’autre, non pas en lui en voulant ou en attendant de lui autre chose que d’être juste « pratique ». Il est possible de refuser ce rôle en cessant de le tenir et c’est là où parfois la vérité se révèle ou se confirme : la personne, en ne lui offrant plus systématiquement ce qu’elle veut, ne vous sollicite plus et disparaît ne trouvant plus ce qu’elle cherche, ou bien (parfois, il y a des surprises.) continue de venir malgré ce changement de posture.
Il est donc nécessaire de s’interroger sur le rôle que l’autre nous donne, mais aussi sur le rôle que nous voulons prendre auprès d’eux.
Avant toute chose, le blessé de l’utilité doit identifier et examiner l’usage de ses propres ressources et auprès de qui. Cela suggère de les connaître et de les reconnaître par soi-même sans chercher une reconnaissance de celles-ci par l’extérieur. Il doit être ensuite capable de s’observer dans la gestion de celles-ci, sans chercher à rendre les autres responsables de cet abus d’utilité. Étant seul au gouvernail, lui seul saura quels réajustements opérer, notamment si cela devient douloureux, blessant.
Les autres peuvent nous donner un rôle comme nous pouvons en prendre un auprès d’eux. Nous avons toutes et tous la liberté de l’accepter ou pas. Tout ce qui compte sera d’en assumer l’impact, et tout ce que cela impliquera. Il est important de s’y préparer, d’en avoir conscience. Cela n’empêche pas la douleur que de le faire. Mais qu’est-ce qui est alors le plus douloureux?
« Les hommes connaissent tous l’utilité d’être utile, mais aucun ne connaît l’utilité d’être inutile. »
Tchouang-Tseu
Adeline Ferlin