L’homme à la capuche – Chap.3 – Le murmure de l’étang

L’homme à la capuche – Chap.3 – Le murmure de l’étang

Plus je marche, plus je m’éloigne du monde, plus je le et me déteste ce qui me semble complètement fou. Je me sens agitée, préoccupée et encombrée.
Mon esprit ne s’arrête plus, jour et nuit. Je me sens possédée et dévorée par elles. Tout se bouscule et rien n’a de sens.
Moi qui pensais que ce voyage serait une grâce et une libération, je ne me suis jamais autant sentie possédée.
C’est un enfer.
Je m’arrête net et tourne sur moi-même pour sentir le vent sur la peau. Mais où est-il lui qui ne s’arrête jamais dans ce pays? Pourquoi n’est-il pas là quand j’en ai justement besoin ?
Je ferme les yeux et me concentre bien, mais rien. Des larmes coulent sur mes joues. Perdue dans le néant, je suis seule. Même le vent est parti et m’a délaissée. Seules mes pensées restent.
Je me sens totalement abandonnée par la vie, le vent, le jour, la nuit, mon rouge-gorge, mon fantôme à la capuche.
Abandonnée par un monde que je cherche à abandonner. Le comble.
J’aimerais tant que mes pensées m’abandonnent tout autant que la vie mais non elles s’accrochent à moi autant que je les rejette.
Fatiguée et lasse, je tombe au sol sur les fesses.
L’envie d’abandonner n’a jamais été aussi forte. Et si je me laisser laisser mourir sur le chemin? Quelle importance que je vive ou pas? Qu’est-ce que ça change?
Je regarde le ciel et entre 2 sanglots d’enfant, je regarde le néant et le supplie « s’il vous plaît, aidez moi ».
En entendant mes paroles je me crois folle. N’importe quoi, il ne manquait plus ça.
Je dois me ressaisir, me redresser et prendre sur moi. J’essuie mes larmes avec ma jupe. J’ai de la morve sur le visage. Heureusement que personne n’est là pour assister à ce spectacle ridicule d’une mendiante pleurnicharde suppliant de surcroît le vide de l’aider.
J’entends cette voix en moi qui vient de temps en temps pour me gronder comme si elle avait honte de moi. Je me sens si bête et ridicule. Elle me somme de me reprendre immédiatement et d’arrêter de me plaindre et de geindre. Alors je m’exécute.
Je n’ai jamais parlé à personne de ces autres « moi » sinon on m’aurait enfermé ou traité de folle. J’ai toujours réussi à les contenir et les faire taire, à faire régner le silence en moi mais depuis que je suis partie, je n’y arrive plus. Elles ont pris le contrôle sur la gardienne de cet hospice que j’incarne à moi seule.
Ces autres « moi » ne savent pas que j’ai un autre moi qui les connais tous. Ce moi là est mon moi « secret » et sa tâche est de les observer. Du coup il s’interroge beaucoup sur leurs existences et cela le rend perplexe.
J’enlève mes chaussures. J’ai mal aux pieds. Cela fait des jours que je marche et dors sans les enlever sachant que si je le fais, je ne pourrais plus les remettre. Ils sont en sang. Je n’ose pas les toucher. Il me faut les laver et les soigner. Il me faut trouver de l’eau et de la consoude rapidement. Je ne peux pas rester ainsi.
Je dois redescendre un peu plus bas dans la vallée pour en trouver. Je vais devoir marcher à même le sol. Je fouine dans ma sacoche et sors un linge que je déchire à l’aide de mes dents. Ils me serviront de pansements en attendant.
Je mange un bout de pain rassis pour prendre des forces et me relève. Sonnée, je me demande bien par où je dois aller. Une envolée d’oiseaux en contre bas me décide à suivre leur piste. Les animaux savent où aller. Ils me guideront.
La descente est abrupte. Je vois bien que le soleil décline et qu’il faut que je me dépêche. J’essaye d’aller plus vite mais c’est trop souffrant. Je recommence à pleurer. J’ai l’impression que je ne vais jamais y arriver et me demande bien pourquoi je suis partie. Tout redevient brouillon dans ma tête.
Puis un nouveau « moi » se manifeste. Sa voix est douce, calme. Elle me dit de bien respirer et de rester concentrée sur mes mouvements. Elle me dit aussi que je vais y arriver. je sens qu’elle croit en moi. J’ai la sensation de sentir réellement une main qui prend ma main, me rassure et me soutient.
Je l’aime bien elle.
Alors je l’écoute (comme toutes les autres) et je cale ma respiration au rythme de mes pas. Cette voix m’accompagne sans relâche et contre toute attente, je me sens bien avec elle et en sécurité.
Je lui dit merci intérieurement pour son aide.
« Son aide ? Alors tu es venue à mon aide ? C’est toi qui as entendu mon appel ? »
M’entendant penser comme à mon habitude, je réalise que ma folie a du bon finalement.
En cheminant, concentrée sur chaque pas et ma respiration, je pense à ce monde que je ne cesse de fuir et à mon manque de courage.
La vérité est que je ne trouve ni le courage de vivre ni le courage de mourir. Je suis coincée entre les deux.
Peut-être pensais-je inconsciemment que partir seule et loin de tout, tel un ermite, serait la clé à ma survie.
Ni vivre, ni mourir, juste survivre.
J’ai choisi sans m’en rendre compte d’être une survivante, ni morte ni vivante.
Mais une question m’obsède : pourquoi je me refuse tant à la vie qu’à la mort ? Pourquoi mon instinct me dicte depuis toute petite de m’en écarter le plus loin possible ? Rien dans cette vie, malgré une enfance insignifiante et insipide n’explique tout cela.
Quand mes pieds commencent à sentir l’herbe les chatouiller, je lève la tête et vois au loin un regroupement d’arbres serrés les uns contre les autres comme s’ils voulaient ne faire qu’un.
La nuit est presque là.
Je pénètre le troupeau d’arbres. Je dois profiter des dernières lueurs du soleil pour trouver la plante.
J’ai appris quelques notions sur les plantes quand j’étais la cueilleuse de baies. La nature sait nous soigner quand on apprend à la connaître.
Un bruit me distrait. Sûrement un animal qui prend la fuite. Je m’approche du bosquet et j’écarte les hauts feuillages avec mon bâton. Un un canard s’envole sur un petit étang juste devant moi.
Je décide d’en faire le tour pour tenter de trouver un ruisseau ou un filet d’eau claire qui pourrait se jeter dedans. Rien.
L’eau de l’étang fera l’affaire. Je m’assois pour y plonger une main puis l’autre et tapote mon visage avec. J’y plonge ensuite mes pieds meurtris libérés de leurs bandages tout crasseux. C’est si froid qu’ils sont anesthésiés.
Le soleil a disparu. Je n’ai pas trouvé la plante. Je me sens épuisée. Je n’ai plus la force de chercher.
Je m’enroule dans ma couverture qui me sert de couchage et me met en boule.
La lueur du jour traverse mes paupières pourtant, j’ai l’impression que je viens de fermer tout juste les yeux pour m’endormir. Je n’ai jamais vécu une nuit comme celle-ci, sans que rien ne vienne la perturber. J’aimerais que cette nuit soit éternelle.
Trop curieuse de voir où je suis, mes yeux s’ouvrent pour contempler cet écrin de verdure. Il y a quelques gouttes de pluie. Le ciel est bas et forme un plafond.
Toujours recroquevillée sur moi-même pour garder la chaleur de mon corps, je remonte la couverture sur mon visage. Elle sent mauvais.
Il faut que je la lave.
Quand la fine pluie cesse, je me découvre totalement pour aller me baigner et me laver. Mes pieds sont dans un sale état.
J’entre dans l’eau qui glisse sur mon corps et me donne des frissons. J’y plonge la tête et écoute son silence si paisible jusqu’à ce que je n’ai plus de souffle. L’étang semble murmurer. Quand j’émerge de son eau, un sourire se dessine sur mes lèvres.
Et si j’avais décidé de vivre sans m’en rendre compte ?

Adeline Ferlin – Auteur

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