Quand oser se protéger en parlant devient une menace.
“Moi tout ce que je voulais, c’était que ça s’arrête. Je voulais que tout cela cesse. Alors j’ai cru que le silence serait ma survie, ma paix, ma sauvegarde, ma protection.
Je ne voulais surtout pas chercher le conflit, pensant que j’étais à l’origine de celui-ci si un son ou un mot sortait de ma bouche.
J’avais peur du pire et le silence était devenu mon garde-fou pour l’éviter.
J’ai choisi de me taire pour tout cela. J’ai accepté toutes ces choses si douloureuses et difficiles pour éviter que cela recommence ou que ce soit pire.
Je n’osais plus bouger, respirer, vivre, penser, faire un pas pensant qu’il serait toujours faux générant de la colère ou de la méchanceté à mon égard.
Disparaitre, m’effacer, devenir invisible et attendre que ça s’arrête. Rester tapis dans un coin et penser que cesser de bouger serait la solution pour que cela s’arrête enfin. Se contenir, prendre sur soi, être sur le qui-vive, attentif à tout, pour ne jamais te faire réagir, te heurter et réveiller le monstre en toi.
J’ai saisi de vivre, d’être moi.J’ai choisi de me taire parce que j’ai choisi de me protéger. La parole devenait une menace supplémentaire et personne ne devait savoir sinon, ce sera pire. Je voyais bien que ce que pouvait penser les autres t’obsédait et que chacun de mes faits et gestes étaient surveillés, une menace pour toi.
Car la pire chose pour toi était qu’ils sachent ce qui se passait vraiment. Mais le pire menace pour toi devint alors la pire menace pour moi, car je n’osais pas imaginer ta réaction si j’avais osé. Tu m’aurais tué, achevé.
Je connais le risque de la parole et de la vérité. Je ne savais pas à quel point. Maintenant je sais.Alors j’ai choisi de m’enfermer dans la prison du silence pour évite tout cela. Déjà que tu ne supportais rien et que tout était sujet de conflit alors oser en parler était inconcevable. Certaines tentatives m’on très vite dissuadé. Trop dangereux.
En plus tout le monde t’aime tellement à l’extérieur. Jamais ils ne me croiront. Je suis la folle ou le fou, l’hystérique et je raconte n’importe quoi. Je suis piégé. je ne sais pas comment faire pour m’en sortir. J’ai peur et suis en permanence sous pression. Je fais semblant de sourire et que tout va bien sinon je vais encore déclencher une colère. Je voudrais parfois mourir pour que tout cette torture cesse. Je voudrais crier et que tout le monde sache ce que je vis et qui tu es vraiment et je n’y arrive pas. Je suis en train de mourir à petit feu dans mon propre silence et toi tu continues ta vie comme si de rien n’était, dans la surpuissance.”
À ceux et celles qui ne comprennent pas le silence ou qui le connaissent trop bien, il est parfois le seul allié auquel se raccrocher pour se protéger et survivre dans un climat de danger immédiat.
Quand parler devient un risque de danger, le silence s’impose.
Il est vrai que le silence peut protéger, mais il est tout autant vrai que ce même silence protège l’agresseur plus que la victime elle-même. C’est le principe même du degré de l’emprise de l’agresseur sur sa victime.
Quand après coup, on demande à la victime qui ose parler:
– pourquoi n’as tu rien dit ?
– pourquoi tu n’es pas parti ?
– Pourquoi n’as tu pas fait ceci ou cela ?
– pourquoi, pourquoi, pourquoi ????
La victime ne se sent absolument pas accueillie dans son épreuve à ce moment-là et se referme encore plus sur elle-même. Elle pense être coupable, elle a perdu confiance en elle, se sent responsable de son silence et de ce qu’elle a subi. Elle n’a rien dit. Elle a fait semblant. Elle a accepté sa maltraitance et l’a mise sous silence.
Elle se sent bête, idiote, ridicule, humiliée, traumatisée, torturée, dévastée.
Elle a honte d’avoir échoué à faire ce qui semble si évident à faire apparemment.
Avant de le vivre elle-même, elle aurait certainement réagit comme eux face à une victime.
Incomprise et consciente de la situation, elle a encore plus honte de son silence. Elle se sent encore plus nulle.
Le silence a été sa survie et l’objet d’une emprise supplémentaire. Elle ne savait pas. Maintenant oui.
Le silence, quand il est sous emprise, donne l’impression d’être le seul et unique moyen de survie.
Avec le temps et le recul, on comprends que celui-ci finit par dévaster et tuer de l’intérieur à force de vouloir se protéger de son agresseur qui lui par contre a très bien compris. Il sait utiliser le silence de sa victime pour se protéger avant tout lui-même. Il a le contrôle.
Si le silence est le premier à s’instaurer il est aussi le dernier à se libérer et tant qu’il règne l’emprise est encore là.
Rompre le silence, même des années après ( ou des vies après) c’est arriver à rompre l’emprise, même si les jambes tremblent encore et le coeur hurle sa peur.
Des victimes se taisent encore, même si elles ont quitté leurs agresseurs. C’est un processus long et délicat de guérison d’un traumatisme profond et extrêmement violent pour arriver à se libérer totalement de l’emprise du silence. C’est parfois une question de vie ou de mort et ce n’est absolument pas démesuré. c’est à la mesure du danger.
À l’échelle de l’âme l’épreuve du silence est un enseignement complexe, parfois périlleux.
Savoir utiliser le silence tout autant que la parole est un apprentissage non sans difficultés et prend du temps. C’est un cheminement au service de l’évolution.
Adeline Ferlin