L’homme à la capuche – Chap.2 – Le rouge-gorge & l’aubépine

L’homme à la capuche – Chap.2 – Le rouge-gorge & l’aubépine

Je ne sens plus rien. Comme engourdi, mon être est comme endormi, éteint et en veille depuis que je suis revenue dans ce monde étranger.

De mon enfance, je ne me souviens de rien, comme si tout ce que je vivais ne laissait aucune trace sur moi. L’instant présente efface l’instant d’avant. Rien ne reste car rien ne se pose sur moi.

Honteuse, je n’ose pas dire que je suis insensible ne trouvant aucune saveur ni de sens réel à tout ça.  Je ne cherche jamais le contact des gens car ils m’indiffèrent. Je ne veux jamais rien savoir d’eux comme je m’évertue à ce qu’ils ne sachent rien de moi. Je ne sais pas ce que je fais ici et chaque matin j’ai la sensation de revivre mon retour  dans ce monde comme la plus grande des incompréhensions et des appréhensions. Je suis encore jeune et pourtant je me sens être un fantôme qui erre sur cette Terre, dans ces landes de bruyère et de chênes où le brouillard aime s’éterniser.

Ce pays, dans lequel je vis, est humide et la brume semble s’être installée là où personne ne peut la chasser. Pour être honnête, ce paysage où je peux me fondre et où tout se confond m’arrange bien.
Mes mains froides sont griffées par les ronces où je cherche des baies.
Je suis une cueilleuse et passe ma journée à chercher celles qui aiment tant se cacher. Je pense que c’est ma seule quête ou plutôt mon unique occupation car les baies m’évitent de réfléchir et de penser.
Les gens du village disent de moi que je suis la sauvageonne en référence aux baies sauvages. Là, sans être là, je suis celle que l’on aperçoit et que l’on ne connaît pas arpentant ses collines boisées. Il est vrai que pas grand monde s’y aventure car beaucoup en ont peur pensant que des esprits perdus occupent la forêt et qu’il est dangereux de les déranger. Je n’en ai jamais croisé. Je ne sais même pas ce qu’est un esprit vagabond et ce qu’il pourrait me faire. N’ayant rien à perdre, je m’enfonce dans le brouillard et disparaît des radars. Peut-être pensent-ils que je suis possédée.

Quand je rentre le soir, mon père me dit en me voyant que je ressemble à rien, que je ne sers à rien et que c’est moi qui aurais dû mourir et non ma mère. S’il savait comme j’aurais aimé prendre sa place. Il ne le saura jamais. Personne ne sait ce que je pense.

Mon père est palefrenier. Ma mère est morte en couches. Ma sœur lui a survécu et c’est moi qui m’en occupe le matin et le soir. Chaque jour, je recommence ce que j’ai fini la veille et chaque matin je me dis toujours que j’aimerais être morte avant d’être née.
Ma sœur est joyeuse et tout semble la rendre heureuse même si parfois elle a de gros sanglots avec de grosses larmes qui roulent sur ses grosses joues. Cela ne dure jamais longtemps chez elle car le soleil rayonne en elle comme la pluie ruisselle en moi.
Elle ne sait pas faire autrement et je ne sais pas faire autrement non plus que de rester insensible à ce qui la rend si sensible.
Nous sommes le jour et la nuit.

Quand ma sœur sera assez grande, je partirais d’ici. J’irais dans la forêt loin des gens pour m’isoler avec les esprits qui semblent m’avoir adopté puisque je ne les vois jamais.
Je sais que je le ferais même si parfois en y pensant je doute d’y arriver.

Mes pensées se limitent à cela. Presque muette, je ne parle jamais. Ma sœur me dit que je sens la cendre en souriant, que c’est mon parfum.
Elle a sûrement raison, mais quelle importance.
Je m’approche du feu pour le ranimer comme un vieux réflexe. Je ne veux pas qu’il s’éteigne Mon rapport au feu est particulier comme si il n’obsédait. J’ai souvent la sensation que c’est lui qui en réalité me maintient en vie même si je ne ressens pas sa chaleur, ce qui me trouble.

Insensible à lui, je ne sens pas ses brûlures. J’ai froid jusqu’aux os et rien ne me réchauffe.
La nuit, quand tout le monde s’en endormi, recroquevillée sur moi-même, je fixe longtemps ce feu incandescent jusqu’à ne plus y arriver et j’ose alors fermer mes paupières en redoutant ce moment.
Celui de cette vision troublante qui ne cesse de me hanter.

Toujours la même scène. Des cris transpercent mes oreilles et des visages déformés par la haine crachent sur mon visage. La violence est si forte que j’essaye de courir, mais je réalise que je suis attachée, nouée. Piégée, une énorme boule de feu roule et fonce droit sur moi. Elle va m’écraser, m’aplatir, me réduire en cendre. Je hurle, mais aucun son ne sort. Je suis pétrifiée. Une ombre prend forme dans la boule de feu, je ne voir si c’est un homme ou une femme. La seule chose que je vois c’est une capuche qui recouvre totalement son visage. C’est à ce moment-là que je reçois comme un coup de poignard dans la poitrine et me réveille brutalement.

Cette nuit là, je suis en sueur, je tremble de froid, je suffoque, je me sens oppressée et je n’arrive plus à respirer. Je dois sortir. Pliée en deux, je me lève et je sors dans la cour, il me faut de l’air. Sans réfléchir, je marche jusqu’à la rivière pieds nus. Je dois sentir l’eau, je dois sentir le froid et créer un électrochoc pour me calmer. J’entends l’eau, j’y suis presque et cherche à la lueur de la lune l’aubépine où vit mon rouge-gorge.  Il est mon refuge. Seule sa présence m’apaise, me calme. Je tremble de tout mon corps, j’ai peur et je ne sais pas de quoi. Je me sens en danger.
Mes nuits sont courtes autant que ma vie est longue. Cette nuit particulièrement. Je le cherche dans le crépuscule et je sais qu’il va se manifester. Je ne viens pas souvent la nuit, ce n’est pas dans mes habitudes.

Les quelques minutes sans lui deviennent une éternité mais je sais qu’il va venir. Je dois être patiente. L’aube va bientôt arriver et ne le voyant pas, peut-être dans mon désarroi ou parce que je suis vraiment seule je m’entends prononcer ces quelques mots:  « Je vois bien que je ne suis pas normale, que ça ne tourne pas rond là-dedans, que je suis inadaptée à la vie. Pourquoi je suis comme ça? Pourquoi j’ai peur? Et de qui, de quoi? »

En réalisant cela, une larme que je ne me connaissais pas s’échappe de l’intérieur et brûle ma peau comme une coulée de lave qui creuse une trachée sur ma joue. Je n’aime pas cette sensation et en même temps, je ne cesse de retracer son trajet avec mes doigts, surprise de ressentir le feu pour la première fois.

J’ai honte de ce que je suis et que je tais jusqu’à l’enfermer dans un corps rigide. Je regarde le sol et et je ferme les yeux. Je me sens bête et ridicule de parler à un rouge-gorge absent. Je m’agenouille, replis mes jambes jusqu’au visage et écoute l’eau couler. Je crois bien que je ne me suis jamais sentie autant seule et perdue que cette nuit.

Une boule dans le ventre se forme et me brûle violemment, comme si je venais de l’avaler. Mon souffle se coupe en réalisant cela. Je touche le sol avec mes mains. Le visage toujours enfoui dans mes genoux recroquevillés, je décide de m’allonger dans le creux de la terre humide tout du long les bras écartés. J’ouvre alors les yeux et découvre la lune en un croissant très fin décorée de quelques étoiles décimées dans le ciel. Je ressens toute la fraîcheur du sol qui pénètre ma peau le long de ma colonne et sous ma tête. Un profond soupir s’échappe. Que j’aimerais rester là et ne plus bouger. Je sens alors mon corps être une fine couche de glace sur le point de se briser. Mes mains attrapent une touffe d’herbe et la serre fort. Je ne sait même pas à quoi je m’accroche.

Puis je l’entends. mon rouge-gorge est là. Le jour aussi est là.
Je me relève doucement et rassurée, le vois sur la branche de l’aubépine juste au-dessus de mon visage. Il chante pour moi et me délivre un message:

« Tu as peur de toi-même, de ce que tu es capable de faire car tu sais les ravages de la colère des autres sur toi. Tu la retiens comme tu peux pour ne pas leur faire ce qu’ils t’ont fait même si tu en as très envie. Tu as envie de faire mal comme tu as eut si mal et tu le sais. Trahie tu ne fais plus confiance. C’est pour cela que tu vis reclus dans ton monde. Tu veux  la paix, mais tu ne sais pas encore ce qu’est la paix. Tu dois guérir ta rage, elle doit sortir et tu l’enfermes. Pars sur le chemin de ton histoire, de ta mémoire. Pars à ta rencontre. Je vais te montrer la voie. Tu seras seule dans cette vie pour réparer par toi-même le tord qu’ils t’ont fait. Se cacher est seulement une étape qui te protège un temps des autres et surtout de toi-même. Un jour, tu montreras ton visage et tu reviendras. Tu dois retrouver ton monde et rallumer ta flamme intérieure. C’est pour cela que tu as froid. Le feu de ta colère est légitime et si tu as le courage de l’écouter en cessant de la censurer tu entendras son message et son enseignement.  Personne ne peut t’empêcher d’être ce que tu es, sauf toi-même. Seul toi détiens ce pouvoir. Sors de cette illusion. On peut te tuer, t’anéantir, te briser, te brûler, te diaboliser, te punir, te condamner, t’emprisonner et tout tenter pour te faire disparaître, rien nu personne n’y parviendra car rien ni personne ne peut empêcher la vie d’œuvrer en toi et en chacun de nous. Cette vie est celle de ton pardon qui te donnera un second souffle, encore plus profond pour raviver ta flamme.

Ton feu intérieur saura apaiser celui de la colère, crois-moi. Pars à ta recherche et tu te retrouveras. »

Un jour d’été, je me suis levée à l’aube. Comme une évidence, j’ai coupé mes longs cheveux emmêlés et me suis baignée dans la rivière. J’étais déterminée et prête. Je savais que c’était le moment pour moi. J’ai regardé ma sœur encore endormie. J’avais peine de la laisser ne voulant pas qu’elle pense de moi que je l’abandonnais. Je me suis étonnée de ressentir cela. J’ai déposé près d’elle un petit bouquet de fleurs d’aubépine noué du ruban qui me servait jadis à attacher ma chevelure. Je suis sortie sans bruit sans regarder derrière moi. J’ai longé l’écurie et rejoint le chemin de la colline et sans savoir où j’allais. Il fallait bien commencer. J’ai quitté ce que je connaissais pour aller vers celle que j’avais perdue de vue. Mon rouge-gorge n’était pas là. Inquiète, je me suis vite souvenu qu’il m’avait dit que je serais seule pour faire ce chemin.
Et pourtant je ne l’ai jamais senti autant auprès de moi.

Adeline Ferlin – Auteur – Recueil de textes. Juillet 2024.

 

 

 

 

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Cette publication a un commentaire

  1. Karine Chehab

    Whaou, que de frissons ressentis en lisant ce texte! C’est le titre qui m’a attirée, car lorsque j’étais jeune lycéenne, j’avais écrit ce poème:

    Le soleil sort lentement entre les collines.
    Les ombres s’abaissent sous les rayons de miel
    Et les nuages blancs s’effacent dans le ciel
    Qui, d’un pur bleu cyan, le paysage illumine.

    Dans les prairies de fleurs, les abeilles butinent
    Puis, dans l’herbe verte, une belle coccinelle,
    Qui majestueusement déploie ses deux ailes,
    Et s’envole, dans l’infinité bleue divine.

    Soudain un petit rouge-gorge au torse pourpre
    Se pose sur le bord de la fenêtre ouverte
    Et se met à pousser, claire, une chansonnette.

    Il semble vouloir me confier un grand secret.
    Je m’approche, mais, relevant d’un coup la tête,
    Il se tait et rejoint les cieux à tout jamais.

    Je crois qu’aujourd’hui, à travers votre texte, il vient de me délivrer son secret. Et étonnement, la phrase qui continue de résonner en moi après cette première lecture, ce n’est pas le message en lui même, mais la phrase : je me suis vite souvenue qu’il m’avait dit que je serais seule pour faire ce chemin…
    Moi qui l’ai tant de fois cherché, qui me suis attachée au doux rêve de le rencontrer et de pouvoir l’entendre enfin et d’en faire mon ami, je m’aperçois que lui aussi n’était qu’un mirage de plus, car dans le fond, nous sommes toujours seuls. C’est une réalité qu’il faut apprivoiser et accepter.
    Merci beaucoup pour vos mots.

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